L’histoire commence en 1945 avec l’arrivée de Mme Margaret à Casablanca, après plusieurs années passées à Dakar. Cette Normande au caractère bien trempé a déjà une vie riche en aventures, marquée par ses nombreux mariages et son indépendance d’esprit. En 1947, elle achète une brasserie au centre-ville de Casablanca qu’elle revend rapidement. Mais c’est en 1957 que la véritable aventure culinaire commence : Marceau, son fils, découvre un petit restaurant de pêcheurs au port, la Taverne du Dauphin. L’endroit l’enchante et il en prend la gérance, avant que Mme Margaret ne rachète l’établissement l’année suivante.

Située à proximité du port et des bâtiments de la marine, la Taverne devient vite le lieu de prédilection des pêcheurs et des marins en quête de plats de poissons frais. Marceau y instaure une ambiance familiale et chaleureuse, où les clients se sentent comme à la maison. Ce cadre simple, sans prétention, attire une clientèle fidèle, constituée à 70-80 % d’habitués encore aujourd’hui. On y vient pour la qualité du poisson, la convivialité, mais aussi pour retrouver des souvenirs, des saveurs d’autrefois.

La Taverne du Dauphin n’est pas seulement une affaire de cuisine, mais aussi une histoire de famille. Marceau rencontre sa femme en 1957, et leur fils Jean-Claude, né peu de temps après, grandit au milieu de cette atmosphère de partage et de convivialité. En 1973, le père de Jean-Claude reprend l’affaire familiale après un séjour à Marseille, et la Taverne du Dauphin continue de prospérer.

Les liens familiaux sont profonds dans cette histoire. Chaque été, malgré les tensions familiales, Jean-Claude et sa famille rentrent à Casablanca pour passer du temps à la Taverne. Ils prennent leurs repas après le service, souvent en famille avec les clients, selon le souhait de Mme Margaret. Celle-ci, véritable matriarche, continue de gérer le restaurant avec une poigne de fer et une passion indéfectible jusqu’à sa mort.

La Taverne du Dauphin est située dans un quartier central, où l’atmosphère de la ville est palpable. En déambulant dans les rues bordées de palmiers du boulevard Houphouët-Boigny, les clients peuvent admirer la médina toute proche, et les larges artères de Casablanca laissent entrer une lumière éclatante. Le port, non loin, ajoute au charme maritime du lieu, avec des routiers, des marins et des touristes venant se restaurer après avoir flâné ou travaillé.

Avec le temps, la Taverne du Dauphin voit sa clientèle évoluer. Au début, elle est majoritairement constituée de marins, de pêcheurs et de militaires, mais peu à peu, des familles et des artistes viennent s’attabler. Les étudiants qui fréquentaient le lieu dans les années 1960 et 1970 y reviennent souvent des années plus tard, une fois devenus des retraités ou des capitaines de navire. La marocanisation dans les années 1970 inquiète beaucoup d’Européens, mais Mme Margaret, toujours confiante, continue de maintenir le cap et refuse de vendre son restaurant.

Dans les années 1980, Jean-Claude commence à travailler dans le restaurant. Au fil des années, de nouveaux plats sont introduits dans le menu, et l’établissement s’agrandit à plusieurs reprises pour accueillir une clientèle toujours plus nombreuse. En 1991, Marc rejoint son frère à Casablanca, et la Taverne reste fidèle à son esprit d’origine, tout en évoluant pour s’adapter aux goûts et aux attentes de ses clients.

Aujourd’hui, la Taverne du Dauphin reste un pilier de la scène gastronomique de Casablanca. Le restaurant ne désemplit pas, et Jean-Claude, toujours à la tête de l’établissement, continue de chérir l’héritage familial. L’amour de la table, du client et de la ville transparaît dans chaque plat, chaque interaction avec les habitués.

La carte, largement dédiée aux produits de la mer, n’a jamais vraiment changé depuis les débuts de l’établissement. Les plats emblématiques comme le poisson en croûte de sel ou les fritures continuent de ravir les papilles des clients, qu’ils soient locaux ou touristes. La kémia, un assortiment d’amuse-gueules, est toujours servie au comptoir dans une ambiance détendue et complice.